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Malaise dans les Coulisses | Les ennemis visibles du théâtre

La Presse — A chaque fois qu’un spectacle ou un concert fait l’objet de polémique, on cherche à mettre sur le banc des accusés l’artiste ou le public ou des hommes politiques ou les sécuritaires. Dans un pays qui se targue d’être démocratique et où la liberté d’expression et de création est garantie, l’on ne sait plus à quel saint se vouer pour expliquer ces phénomènes récurrents qui expriment une certaine hostilité aux arts et à la culture. En effet, à travers le théâtre, ce ne sont pas les créateurs qui s’expriment, mais la société contemporaine. Mais le théâtre a «des ennemis visibles», selon Rascon Banda, à savoir «l’absence d’éducation artistique pendant l’enfance, qui nous empêche de le découvrir et d’en jouir ; la pauvreté qui envahit le monde, éloignant les spectateurs des lieux de spectacles ; l’indifférence et le mépris des gouvernements qui devraient le promouvoir.

Le théâtre a été un moyen parmi tant d’autres qui ont participé à l’épopée de la libération et à l’œuvre de civilisation que notre pays a connue. A des moments où la colonisation évacuait toute forme d’expression nationale, des hommes, qui ont vite épousé l’art dramatique, luttaient contre le phénomène d’acculturation et jouèrent un rôle important dans la préservation de l’identité nationale. À l’aube de l’indépendance, en plus de la glorification des martyrs de la lutte nationale, le quatrième art a joué un rôle important dans l’édification de la Tunisie moderne, à l’émergence de nouveaux talents et au développement du goût des citoyens, outre la sensibilisation aux grandes questions de la société et aux préoccupations des citoyens.

Au fil de six décennies, l’on peut s’enorgueillir d’avoir compté parmi nos intellectuels des hommes illustres qui ont façonné le théâtre tunisien qui joue désormais dans la cour des grands. Avec l’avènement de la révolution de 2011, le quatrième art a constitué l’une des expressions les plus importantes de la vie culturelle, du développement démocratique de la société et a illustré le dialogue des civilisations et des religions et favorisé cet échange permanent entre les cultures. Mais durant cinq décennies, le silence, par le musellement, imposé à l’expression artistique tunisienne par les deux régimes successifs de Bourguiba et Ben Ali, avait pour but la mise au pas de toute aventure personnelle et libre et l’asservissement de ces téméraires que sont les artistes, pour la consolidation de leur pouvoir. Grâce à la liberté retrouvée, le théâtre tunisien suscite aujourd’hui un intérêt de plus en plus accru, surtout dans le monde arabe et en europe qui y découvrent les spécificités de sa dramaturgie, de ses techniques de jeu, de ses thèmes innovants. Des festivals de renom tels que ceux de Carthage, Hammamet, Monastir et plusieurs autres servent de plate forme pour la promotion du théâtre tunisien auprès du large public. Les jour- nées théâtrales de Carthage (JTC), premier festival de théâtre arabe et africain, constitue désormais une tribune internationale pour consacrer les valeurs et confirmer les talents et pour que le 4e art demeure en Tunisie un espace de création, de renouveau et de rayonnement. Cependant, même si le théâtre occupe une maigre place dans la programmation des festivals d’été, il a dominé ces derniers jours l’actualité nationale par des faits navrants. Quatre artistes et quatre pièces ont été à l’origine de plusieurs polémiques avec des faits aggravants allant jusqu’à la tentative d’agression physique des artistes. Il y eut certes les quelques coups de cœur pour ces artistes programmés à l’instar de Lamine Nahdi, Lotfi Abdelli, Wajiha Jendoubi et Mokded Shili, sans qu’il y ait réellement des coups de maître.

Les réactions à l’égard de ces pièces, que ce soit de la part du public, des politiques ou des sécuritaires, ne sont pas des faits anodins, ni circonstanciels. en effet, les trois dictatures qui ont régné en Tunisie depuis la décolonisation (Bourguiba, Ben Ali et la Troïka) ont fermé à tout jamais l’accès à la moindre lueur devant l’esprit tunisien par la pratique de l’enfermement, de l’exil et de la terreur. Nous sommes face à trois générations pur produit de l’enfermement, de l’obscurantisme et de l’ignorance. Ce constat ne doit pas nous attrister pour autant ni nous enfoncer dans le désespoir.

Car comme le souligne dans son message international adressé à l’ensemble de la communauté internationale le dramaturge mexicain Victor Hugo Rascon Banda, le théâtre «reflète l’angoisse existentielle de l’homme et perce le mystère de la condition humaine. À travers le théâtre, ce ne sont pas les créateurs qui s’expriment, mais la société contemporaine». Mais le théâtre a «des ennemis visibles», selon Rascon Banda, à savoir «l’absence d’éducation artistique pendant l’enfance, qui nous empêche de le découvrir et d’en jouir ; la pauvreté qui envahit le monde, éloignant les spectateurs des lieux de spectacles; l’indifférence et le mépris des gouvernements qui devraient le promouvoir», et c’est là où l’on appréhende le pourquoi de ces réactions incompréhensibles dans un pays démocratique.

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